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viron trente ans, de ces visages d’un blanc fade, et qui font une physionomie longue et sotte ; et cette nouvelle épousée, telle que je vous la dépeins, avec ce visage qui, à dix ans, était antique, prenait des airs enfantins dans la conversation ; vous eussiez dit d’une petite fille qui vient de sortir de dessous l’aile de père et de mère. Figurez-vous qu’elle est étonnée de la nouveauté de son état ; elle n’a point de contenance assurée ; ses innocents appas sont encore tout confus de son aventure. Elle n’est pas encore bien sûre qu’il soit honnête d’avoir un mari ; elle baisse les yeux quand on la regarde ; elle ne croit pas qu’il lui soit permis de parler si on ne l’interroge ; elle me faisait toujours une inclination de tête en me répondant, comme si elle m’avait remerciée de la bonté que j’avais de faire comparaison avec une personne de son âge ; elle me traitait comme une mère, moi, qui suis plus jeune qu’elle : ah, ah, ah !

Ergaste.

Ah ! ah ! ah ! il est vrai que, si elle a trente ans, elle est à peu près votre aînée de deux.

La Marquise.

De près de trois, s’il vous plaît.

Ergaste, riant.

Est-ce là tout ?

La Marquise.

Non ; car il faut que je me venge de tout l’ennui que m’ont donné ces originaux. Vis-à-vis de la petite fille de trente ans, était une assez grosse et grande femme de cinquante à cinquante-cinq ans, qui nous étalait glorieusement son embon-