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Comment, avec tant d’amour, avez-vous pu vous taire ? On essaie de se faire aimer, ce me semble ; cela est naturel et pardonnable.

Dorante.

Me préserve le ciel d’oser concevoir la plus légère espérance ! Être aimé, moi ! non, madame, son état est bien au-dessus du mien. Mon respect me condamne au silence, et je mourrai du moins sans avoir eu le malheur de lui déplaire.

Araminte.

Je n’imagine point de femme qui mérite d’inspirer une passion si étonnante, je n’en imagine point. Elle est donc au-dessus de toute comparaison ?

Dorante.

Dispensez-moi de la louer, madame ; je m’égarerais en la peignant. On ne connaît rien de si beau ni de si aimable qu’elle, et jamais elle ne me parle ou ne me regarde que mon amour n’en augmente.

Araminte, baissant les yeux.

Mais votre conduite blesse la raison. Que prétendez-vous, avec cet amour pour une personne qui ne saura jamais que vous l’aimez ? Cela est bien bizarre. Que prétendez-vous ?

Dorante.

Le plaisir de la voir, et quelquefois d’être avec elle, est tout ce que je me propose.

Araminte.

Avec elle ! Oubliez-vous que vous êtes ici ?