Page:Marivaux - Théâtre, vol. II.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.

répété si souvent que j’en ai presque douté moi-même ?

Lisette.

C’est que je me trompais.

Lucile.

Vous vous trompiez ? Je l’aimais ce matin, je ne l’aime pas ce soir ; si je n’en ai pas d’autre garant que vos connaissances, je n’ai qu’à m’y fier, me voilà bien instruite ; cependant, dans la confusion d’idées que tout cela me donne à moi, il arrive, en vérité, que je me perds de vue. Non, je ne suis pas sûre de mon état ; cela n’est-il pas désagréable ?

Lisette.

Rassurez-vous, madame ; encore une fois vous ne l’aimez point.

Lucile.

Vous verrez qu’elle en saura plus que moi. Eh ! que sais-je si je ne l’aurais pas aimé, si vous m’aviez laissée telle que j’étais, si vos conseils, vos préjugés, vos fausses maximes ne m’avaient pas infecté l’esprit. Est-ce moi qui ai décidé de mon sort ? Chacun a sa façon de penser et de sentir, et apparemment que j’en ai une ; mais je ne dirai pas ce que c’est ; je ne connais que la vôtre. Ce n’est ni ma raison ni mon cœur qui m’ont conduite, c’est vous ; aussi n’ai-je jamais pensé que des impertinences, et voilà ce que c’est ; on croit se déterminer, on croit agir ; on croit suivre ses sentiments, ses lumières, et point du tout ; il se trouve qu’on n’a qu’un esprit d’emprunt et qu’on ne vit que de la folie de ceux qui s’emparent de votre confiance.

Lisette.

Je ne sais où j’en suis.