Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 3.djvu/444

Cette page n’a pas encore été corrigée

TRIVELIN

Parce qu’il voulait qu’on eût quatre mille ans sur la tête pour valoir quelque chose. Oh ! moi, pour gagner son amitié, je me mis à admirer tout ce qui me paraissait ancien ; j’aimais les vieux meubles, je louais les vieilles modes, les vieilles espèces, les médailles, les lunettes ; je me coiffais chez les crieuses de vieux chapeaux ; je n’avais commerce qu’avec des vieillards : il était charmé de mes inclinations ; j’avais la clef de la cave, où logeait un certain vin vieux qu’il appelait son vin grec ; il m’en donnait quelquefois, et j’en détournais aussi quelques bouteilles, par amour louable pour tout ce qui était vieux. Non que je négligeasse le vin nouveau ; je n’en demandais point d’autre à sa femme, qui vraiment estimait bien autrement les modernes que les anciens, et, par complaisance pour son goût, j’en emplissais aussi quelques bouteilles, sans lui en faire ma cour.

FRONTIN

À merveille !

TRIVELIN

Qui n’aurait pas cru que cette conduite aurait dû me concilier ces deux esprits ? Point du tout ; ils s’aperçurent du ménagement judicieux que j’avais pour chacun d’eux ; ils m’en firent un crime. Le mari crut les anciens insultés par la quantité de vin nouveau que j’avais bu ; il m’en fit mauvaise mine. La femme me chicana sur le vin vieux ; j’eus beau m’excuser, les gens de partis n’entendent point raison ; il fallut