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mon temps, la Pudeur était la plus estimable des Grâces.

CUPIDON

Eh bien ! il ne faut pas faire tant de bruit ; c’est encore de même. Je n’en connais point de si piquante, moi, que la pudeur. Je l’adore, et mes sujets aussi. Ils la trouvent si charmante, qu’ils la poursuivent partout où ils la trouvent. Mais je m’appelle l’Amour ; mon métier n’est pas d’avoir soin d’elle. Il y a le respect, la sagesse, l’honneur, qui sont commis à sa garde. Voilà ses officiers ; c’est à eux à la défendre du danger qu’elle court ; et ce danger, c’est moi. Je suis fait pour être ou son vainqueur ou son vaincu. Nous ne saurions vivre autrement ensemble ; et sauve qui peut. Quand je la bats, elle me le pardonne : quand elle me bat, je ne l’en estime pas moins, et elle ne m’en hait pas davantage. Chaque chose a son contraire ; je suis le sien. C’est sur la bataille des contraires que tout roule dans la nature. Vous ne savez pas cela, vous ; vous n’êtes point philosophe.

L’AMOUR

Jugez-nous, Déesse, sur ce qu’il vient d’avouer lui-même. N’est-il pas condamnable ? Quelle différence des amants de mon temps aux siens ! Que de décence dans les sentiments des miens ! Que de dignité dans les transports mêmes !