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Qui devaient m’avertir du péril que je cours !

LAODICE

Oui, je vous rends enfin ce funeste service ;
Mais de la trahison le roi n’est point complice.
Fidèle à votre gloire, il veut la garantir :
Et cependant, Seigneur, gardez-vous de partir.
Quelques avis certains m’ont découvert qu’un traître
Qui pense qu’un forfait obligera son maître,
Qu’Hiéron en secret informe les Romains ;
Qu’en un mot vous risquez de tomber en leurs mains.

ANNIBAL

Je dois beaucoup aux dieux : ils m’ont comblé de gloire,
Et j’en laisse après moi l’éclatante mémoire.
Mais de tous leurs bienfaits, le plus grand, le plus doux,
C’est ce dernier secours qu’ils me laissaient en vous.
Je vous aimais, Madame, et je vous aime encore,
Et je fais vanité d’un aveu qui m’honore.
Je ne pouvais jamais espérer de retour,
Mais votre cœur me donne autant que son amour.
Eh ! que dis-je ? l’amour vaut-il donc mon partage ?
Non, ce cœur généreux m’a donné davantage :
J’ai pour moi sa vertu, dont la fidélité
Voulut même immoler le feu qui l’a flatté.
Eh quoi ! vous gémissez, vous répandez des larmes !
Ah ! que pour mon orgueil vos regrets ont de charmes !
Que d’estime pour moi me découvrent vos pleurs !
Est-il pour Annibal de plus dignes faveurs ?