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Vous faites-vous pour moi la moindre violence ?
Madame, honorez-moi de cette confidence.
Parlez-moi sans détour : content d’être estimé,
Je me connais trop bien pour vouloir être aimé.

LAODICE

C’est à vous cependant que je dois ma tendresse.

ANNIBAL

Et moi, je la refuse, adorable Princesse,
Et je n’exige point qu’un cœur si vertueux
S’immole en remplissant un devoir rigoureux ;
Que d’un si noble effort le prix soit un supplice.
Non, non, je vous dégage, et je me fais justice ;
Et je rends à ce cœur, dont l’amour me fut dû,
Le pénible présent que me fait sa vertu.
Ce cœur est prévenu, je m’aperçois qu’il aime.
Qu’il suive son penchant, qu’il se donne lui-même.
Si je le méritais, et que l’offre du mien
Pût plaire à Laodice et me valoir le sien,
Je n’aurais consacré mon courage et ma vie
Qu’à m’acquérir ce bien que je lui sacrifie.
Il n’est plus temps, Madame, et dans ce triste jour,
Je serais un ingrat d’en croire mon amour.
Je verrai Prusias, résolu de lui dire