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côté des Îles Saint-Paul et Amsterdam, et à tous ceux qui sont loin de soi et qu’on voit, cramponnés à des rochers, dans la solitude furieuse de l’espace.

Chouchoute les avait quittés. Eva monta dans sa chambre, tandis que Gabriel se mettait au piano. Elle ferma les volets de bois derrière lesquels on entendait le vent bousculer les tamarins et les cocotiers ainsi que pendant les cyclones ; et, lampe allumée dans la chambre noire, elle lut la lettre du fiancé.

  « Chère Eva adorée »

De suite elle s’arrêta, trop émue, les épaules tremblantes et tendres ; son cœur battait, léger, presque effarouché.

« J’ai eu un fort mal de mer, mais je n’ai pas trop souffert parce que c’était tel que je ne savais pas bien si c’était le mal au cœur ou le gros chagrin. La mer a remué de suite après la sortie du port ; mon cœur sautait avec les lames, puis retombait ; j’étais allongé sur mon fauteuil de bord et il me semblait que j’étais couché à même les planches du pont ; j’entendais les lames battre les lianes du bateau et, par secousses, je voyais leur écume par-dessus le bastingage. J’avais la sensation d’être sur un îlot de roche assailli de vagues et où l’on m’aurait attaché pour me séparer de toi, et j’avais la sensation que je ne te reverrais plus jamais et que l’îlot allait sombrer dans une heure ou deux. Mais cela m’était égal parce que je souffrais trop d’être séparé de toi. Je ne pouvais point me retourner, parce que j’étais amarré par tous les