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l’aimer puisqu’elle ne pouvait être pour lui ni une maman ni une amoureuse, les deux seules conditions naturelles et bien tranchées pour un créole. Il n’avait d’ailleurs aucune raison de jalousie puisqu’il se sentait préféré, de beaucoup, par sa mère. De temps à autre son regard tombait sur Eva, il constatait qu’elle était très jolie et détournait la tête : cela constituait pour elle un devoir de famille, et il rentrait dans l’harmonie nécessaire que sa sœur fût jolie. Elle n’existait pas davantage, et il savait juste qu’elle était fiancée à un de ses condisciples un peu plus âgé, Claude Mavel, qu’il avait pris l’habitude de tenir pour intelligent et assuré d’avenir puisqu’il était un des premiers des classes de lettres, qu’aussi négligemment il avait toujours dédaigné comme différent de lui, trop sentimental, d’une sagesse exagérée qui ne pouvait être que de la pose romanesque, de cela agaçant et un peu ridicule. L’amour excessif et exclusif que Mavel et Eva montraient l’un pour l’autre comme s’ils étaient des êtres exceptionnels, cette passion prétentieuse qui s’affichait aux attitudes d’Eva, pâle, toujours à pleurer et prostrée depuis le départ de « Claude », l’énervait autant que de la bigoterie de vieilles femmes. Il s’efforçait de ne pas regarder Eva et imperceptiblement haussait les épaules.

« Où allez-vous comme ça, maman ?

— Mais à la poste, mon enfant. »

Son visage se renfrogna :

« Qu’avez-vous à faire à la poste ?

— Tu sais bien qu’Eva attend une lettre.