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LA VILLE CHARNELLE

d’audace et de témérité,
je te sais gré de déchaîner ainsi tes vagues forcenées !
Gonfle-toi à loisir, et soulève très haut
mon rêve ivre d’embruns !
Tu as salé mon corps pour la dernière sépulture,
avec le sel divinisant de tous nos pleurs,
qui picote et qui leurre notre soif d’aventure,
ô Mer, morne embaumeuse de suicides !…

Les nègres te bafouent de leurs ricanements,
car ils ont oublié leur exécrable vie
et leur cases de pauvre bousillage…
Que pourraient-ils pêcher dans ces maudits parages,
si ce n’est des cadavres ? Ils préfèrent danser
sur ta vaste amertume, ô Mer, fixant au loin
tes tristes horizons d’angoisse verte…
Ils danseront longtemps, durant des nuits, des nuits,
sur la poupe qui sombre
et parmi et malgré tes gifles culbutantes !