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LA VILLE CHARNELLE

là-bas, sous le pesant gouvernail de la barque ?
Car enfin c’est étrange et c’est inexplicable
cette funèbre hilarité gagnant de proche en proche
la mer et ce flottant sarcophage de nègres,
et les nuées moqueuses, et les brèches narquoises,
et jusqu’à cette lune au clair visage exsangue,
qui nous tire la langue au ras de l’eau !…
Tu vois, les nègres dansent sur la barque penchée.
Ils dansent sur la poupe qui file mi-noyée
sous l’oscillation de son énorme voile,
telle une tour croulant aux tremblements de terre.
La barque oblique et folle va ricochant
de vague en vague, comme une pierre plate…
Ils dansent les grands nègres tout nus,
chantant et ricanant sous les bâillons farouches
du vent et des embruns qui leur tordent la bouche…
Ils font claquer leurs mains de bois,
ils font claquer leurs dents de joie
et de férocité livide.