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LAI DU CHAITIVEL.

séricorde aux trois chevaliers. La dame avoit mandé les plus habiles chirurgiens pour soigner le blessé qu’elle avoit fait transporter dans sa chambre, afin de veiller à ses besoins. Graces à ces précautions, le malade fut bientôt guéri. La dame le voyoit tous les jours, l’exhortoit à la patience ; cependant elle regrettoit les trois autres, et rien ne pouvoit la distraire de sa douleur.


Un jour d’été après le repas, la dame assise auprès du chevalier lui rappeloit les souffrances qu’elle ressentoit. Laissant tomber sa tête sur sa poitrine, elle réfléchissoit à l’étendue de son malheur. Le chevalier qui observoit tous les mouvements de sa belle, se doutant bien du sujet qui l’occupoit, lui parla en ces termes : Vous avez un chagrin, ma dame, je le vois ; faites m’en part, veuillez oublier vos peines et chercher, du moins, à vous consoler. Mon ami, je pense sans cesse à vos compagnons ; aucune femme de ma naissance, qui ne sera pas belle, vertueuse et sage, ne voudra aimer quatre amants à-la-fois pour les perdre en un seul jour, excepté vous qui fûtes blessé et dont nous avons bien craint la mort.

Pour ceux que vous avez tant aimé et pour souvenir de ma douleur, de vous quatre je ferai un lai et je