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les forçats du mariage

Elle s’approcha de lui par un mouvement impétueux, et l’entoura de ses bras.

— Ah çà, reprit Robert en se dégageant doucement, tu m’aimeras donc toute ta vie ?

Juliette resta un moment étourdie par cette question.

— Et… vous en êtes fatigué, n’est-ce pas ? Eh bien ! voulez-vous vous débarrasser de moi ? Je vais vous en dire le moyen. Aimez-moi comme je vous aime, aimez-moi à en devenir fou et criminel comme je l’ai été ; et je crois que je vous haïrai. Savez-vous pourquoi je n’ai jamais aimé que vous, pourquoi je ne puis aimer que vous ? C’est parce que jamais vous n’avez été complètement à moi ; parce que je vous sentais toujours prêt à m’échapper. Ah ! c’est un amour vraiment fatal que celui que j’ai pour vous, un amour de damnée. Que de fois j’ai essayé de vous oublier ! Oui, c’est vrai, j’ai voulu en aimer d’autres ; je ne l’ai pas pu. J’ai voulu aimer mon mari ; je ne l’ai pas pu. J’ai voulu aimer ma fille ; je ne l’ai pas pu. Je me suis jetée dans la dissipation, j’ai souhaité tous les luxes, tous les plaisirs, tous les hommages pour vous oublier, et je vous aime encore. Emportée par cette infernale passion, j’ai renié tous mes devoirs : j’ai abandonné ma fille. Pour vous, j’ai fait souffrir tous les êtres qui m’aimaient, à commencer par ce pauvre Étienne, un martyr. Je n’y puis penser sans me faire horreur à moi-même,