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les forçats du mariage

lettre de juliette a robert de luz.
Rio-Janeiro, 23 novembre.
« Mon ami,

» Car vous m’accordez au moins votre amitié, n’est-ce pas ?

» Que vous dirai-je des deux années qui viennent de s’écouler ? Que vous dirai-je de la malheureuse Juliette que vous avez aimée ? Vous ne la reconnaîtriez pas. Je languis, je m’étiole, je meurs. Encore un an de cette existence, et jamais je ne reverrai la France.

» La France ! il faut en être loin pour savoir combien on l’aime. Non, je ne veux pas mourir dans cet affreux pays où tout m’est odieux, même le ciel éternellement doux, éternellement bleu. Je veux mourir là-bas, au milieu des brouillards ; je veux revoir Paris, mon beau Paris, et les chers Parisiens surtout. Je sens d’ailleurs que dès que je respirerai l’air de la France, je renaîtrai, car en France seulement je puis vivre.

» Ah ! le mal du pays, on en meurt, cela est trop vrai. Le cerveau et le cœur se resserrent… et la poitrine aussi ; et, dans l’esprit incessamment tourné vers la patrie, il ne germe plus que la fleur, sombre et amère du regret.

» Alors le sang pâlit, et les forces s’en vont, et l’on sent la vie qui lentement vous abandonne.