Page:Marie Louise Gagneur Les Forcats du mariage 1869.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
les forçats du mariage

mais on se sent galvanisé par les courants électriques de la pensée. On a la fièvre ; mais on vit, on pense. Partout ailleurs on végète, on rumine et on digère. Je ne puis habiter que Paris. Ailleurs, j’aurais froid, même sous la canicule. J’aime mieux les arbres rachitiques de mon boulevard que les orangers de Naples, que les lauriers roses de la Grèce et les cèdres du Liban. J’ai beaucoup voyagé, et le seul plaisir véritable que je goûte en voyage, c’est de revenir.

Marcelle devinait le fond de la pensée de son mari : une seule chose était capable de le distraire, c’était l’amour, et elle ne pouvait plus le ressusciter.

— Je t’attriste, dit Robert, parce que je ne crois à rien, parce que la vie me paraît bête, parce que les hommes sérieux m’ennuient, parce que j’aime le soleil. Ah ! c’est cela, tu es jalouse du soleil. Laisse passer mes boutades. J’ai l’humeur très-capricieuse. Je suis nerveux comme une femme.

En cet instant, madame Rabourdet entra et Robert se leva pour sortir.

— Où vas-tu ? lui demanda Marcelle.

— C’est un secret, je reviens tout à l’heure.

Robert passa doucement sa main sur les cheveux de sa femme, l’embrassa au front et sortit.

Marcelle le regarda traverser la cour. Elle remarqua qu’en s’avançant vers la porte son pas devenait plus allègre, et qu’en franchissant le seuil, sa figure s’illuminait. Elle laissa échapper un soupir.