Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/290

Cette page a été validée par deux contributeurs.
282
CROQUIS LAURENTIENS

Jouets de forces fatales qui ne se laissent dompter que parce que sûres d’avoir le dernier mot, et qui, entre deux aurores, nous étreignent brutalement et nous rejettent, après un dernier râle, dans le tourbillon du monde inorganique ?… Ou plutôt, larves aveugles et rampantes, collées à la terre, mais dépositaires d’une immense espérance et destinées à s’évader, brillantes et déployées, de l’enveloppe de chair, pour dominer le temps, à jamais, dans le sein de Dieu ?…

Ce n’est tout de même pas pour permettre à ses trois uniques passagers de philosopher devant un tas de pierre que le vapeur vient de s’arrêter, car voici que du fond de l’anse des pêcheurs, surgissent des barges, une, puis deux, puis trois et quatre, puis la flottille entière. Elles viennent sur nous, légères, vides, le nez en l’air, pétaradant à qui mieux mieux, virevoltant avec la superbe aisance des petites quilles. Des saluts s’échangent entre la tille des barges et l’appui du bastingage, des rires semblent fuser de l’eau, et, au grincement rythmé de la grue à vapeur, la besogne commence. Le navire est chargé de la cale jusque par-dessus la dunette de quarts à maquereau, vides et tout neufs. En prévision de la prime qui aura lieu bientôt, toute cette cargaison va être descendue sur l’Île Brion. Les barges s’emplissent à défier toutes les lois de l’équilibre, virent de bord et piquent droit dans l’anse,