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BRION

du grès, effrayante signature des milliers de siècles qui ont travaillé à bâtir ce rocher désert, à dresser cette table pour le repas des corbijeaux du ciel.

Quel thème de méditation ! Les jours « en petit nombre et mauvais » qui sont ceux de notre humaine vie, n’ont rien ajouté ni rien enlevé à ce monument des âges passés. Non plus que les quelques siècles écoulés depuis que, courant sous le vent, Basques et Bretons y virent pour la première fois, du pont de leurs petits navires, les « grandes bêtes comme grands bœufs qui ont deux dents en la bouche ! » Non plus que la longue suite des siècles troublés qui, à travers le Moyen âge et les temps barbares, remonte au Christ, Centre des Temps ; non plus que l’autre théorie des siècles qui s’en vont d’un pas égal, de plus en plus noirs, de plus en plus mystérieux, à travers les ruines, les convulsions des peuples sans nom, se perdre dans la nuit de la préhistoire ! … Tout cela n’est qu’un point dans le temps, une valeur négligeable, en regard de l’antiquité de ce livre de pierre dont le soleil illumine la tranche, et dont les feuillets enferment quelques bribes de l’histoire occulte de notre vieille planète.

Mais alors, qui donc sommes-nous, en face de cet effrayant mystère de durée ? Étincelles soufflées d’un éternel foyer et qui, ayant brillé un instant, retombent à jamais dans le noir ?…