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LA GROSSE-ISLE

Ce soir de dimanche, les pêcheurs du Barachois campés tout près, à l’Eau-Profonde, sont venus faire la courte veillée avec les Décoste. Nous étions une quinzaine, hommes et femmes. La conversation roulait sur la pêche, et sous le stoïcisme apparent, il était distinctement indiqué qu’une angoisse mortelle étreignait le cœur de ces braves gens. Le vent persistait et le maquereau tardait à paraître dans les eaux de la Madeleine. Manquerait-il au rendez-vous, comme en telle et telle année ?… C’est la perspective blafarde de la disette et de l’hiver sans ressources, qui passe dans les esprits bien que les mots ne disent pas cela ! Pas une parole de révolte contre l’inévitable, cependant, mais une résignation et une confiance admirables en la Providence de Dieu.

J’ai honte alors de mes impatiences égoïstes ! Il ne s’agit pour moi que de recherches et d’agrément, tandis que pour ceux-là, c’est le pain quotidien, le pain de leurs enfants. Oui ! Je sens la rougeur me monter au front. Et dans un beau mouvement, je crois bien que je donnerais congé pour huit jours à cet insaisissable Édouard à Léon, pour que le vent calmît, pour que le maquereau fît diligence et vînt se jeter sur les hameçons des pêcheurs ! Mais Celui qui tient les rênes des coursiers de l’air est le même qui dirige, dans les vallées obscures de l’océan, l’instinct mystérieux des poissons ! Nos désirs et nos colères n’y peu-