Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/252

Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
CROQUIS LAURENTIENS

grandes orchidées pourpres, pareilles à des papillons de rêve au repos sur un fil rigide, charme irradiant des asters couleur de ciel, innombrables étoiles d’or des hudsonias, grâce liliale et souple des fines linaigrettes !…

Courant toujours de merveilles en merveilles, enivrés par la révélation d’un monde nouveau, nous atteignons une grande lagune communiquant avec la mer ; celle-ci étant basse, la lagune est presque à sec. Quel spectacle ! Tout un peuple d’alouettes de mer — des milliers ! — attablées au repas de mollusques et de larves, que, maternellement, l’océan fidèle leur sert deux fois le jour ! Tout occupés à happer leurs petites proies, les mignons oiseaux ne font aucune attention à nous, courent, vont et viennent, se mirent à chaque pas dans les minuscules psychés oubliées par le reflux. Les voilà bien les oiseaux de l’Évangile qui ne moissonnent ni ne sèment et que le Père céleste nourrit !

Puisque la mer nous livre ainsi le chemin, traversons ! Assis à l’arrière de la charrette et les pieds pendants, j’admire la surface du sable qui fuit sous moi, tout damasquiné par le pied trine des alouettes, en songeant que tout-à-l’heure, l’eau mobile et niveleuse brouillera tout, à jamais, d’un revers de lame, comme la vague du temps effacera la trace menue de notre passage sur la dune aride de la vie, pauvres alouettes que nous sommes,