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LA GRANDE-ENTRÉE

— Vous voulez entrer dans les dunes et visiter les étangs ?

— Nous sommes venus surtout pour cela ! Et laissant la mer et son tonnerre, nous entrons dans cette terra incognita, aussi paradisiaque pour le botaniste, qu’affreuse pour celui qui n’entend pas la voix multitudineuse de la nature vierge.

La nature vierge ! C’est bien elle ! Elle n’a pas tous les airs de princesse lointaine qu’elle prend ailleurs, mais elle porte rayonnants, intacts, les attributs de sa virginité. Rien dans notre horizon pour rappeler l’homme et ses prétentieuses œuvres d’un jour. Derrière nous se dressent les trois demi-cônes volcaniques du Cap-de-l’Est ; l’autre moitié a disparu sous le bélier puissant des marées préhistoriques. Dans les anfractuosités du basalte croulant, de courtes épinettes sont en vigie, face à l’immensité. Devant nous, à perte de vue, et à perte de vue encore, le sable, le sable mobile et blond, les étangs herbeux, le ciel pâle où criaille un peuple d’esterlais. Mais le sable amassé par les tempêtes des siècles tâche à couvrir sa nudité d’humbles genévriers, de conifères lilliputiens, entre lesquels la camarine tricote de moelleux tapis verts piqués de grains de jais. Et comme cette nature fière, cette vierge dédaignée, se venge magnifiquement par la profusion des beautés qu’elle refuse au voisinage de l’homme :