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CROQUIS LAURENTIENS

être ?… À moins que ce ne soit la Beauté souriant sur les ruines de la Force !…

Mais, de grâce, ne nous moquons pas de la philosophie, même en vacances !

Amplifié par ce résonateur idéal, le mugissement du pialard s’entend de loin sur la route de Old Harry. Quel dommage qu’il n’y ait pas d’Acadiens par ici ! Nous perdons à coup sûr une belle légende où messire Satanas ayant creusé le puits de ses propres griffes, serait condamné à quelque tâche humiliante et éternelle !

Nous revenons un peu sur nos pas pour descendre sur la dune et gagner la Pointe-de-l’Est. Le petit cheval tire courageusement la charrette dans le sable, et nous suivons à pied, silencieux, car le bruit du ressac vient à bout des causeurs les plus tenaces. D’un côté, une mer et un ciel admirablement bleus, de l’autre la ligne fauve des buttereaux ou frissonnent les tignasses glauques des élymes.

Quelquefois, pour reposer la bête, notre guide se rapproche de la mer ; la charrette chemine alors une roue dans l’eau et l’autre sur la plage tapée par la vague qui, toutes les dix secondes, vient gicler entre les pattes de l’animal et dénouer, sur le sable uni comme marbre, les longs rubans noirs des goémons.