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CROQUIS LAURENTIENS

Un vieux Madelinot coiffé d’une casquette à visière vous aborde sans façon :

— Eh bien ! vous larguez ? Vous vous en allez aujourd’hui ?…

— Oui, nous voudrions jouir encore de votre bonne hospitalité, mais le devoir nous rappelle. Pensez-vous que ce soit le temps de monter à bord ?

— Vous avez bien le temps ! Il n’a pas encore huché (appelé) du borgo (sifflet). Vous en avez encore pour une bonne p’tite élan !

— Quand arriverons-nous à Souris ?

— S’il embarque encore beaucoup de maquereau, vous arriverez haute heure demain matin.

Les Madelinots distinguent assez curieusement entre s’en aller et partir. Pour eux, partir c’est quitter avec l’intention de revenir sous peu ; s’en aller est définitif. Pour ce qui est de haute heure, je trouve délicieuse cette vieille expression, suggérant l’idée d’heure solaire. Les Madelinots sont, en effet, admirablement indépendants des horloges. Ils ne connaissent guère cette affreuse tyrannie du cadran placide et impitoyable, qui nous force à apprécier toutes choses à la valeur de l’angle des aiguilles, qui morcelle notre vie, fait durer nos peines et déchiquette nos courtes joies !