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LES MADELINOTS

Et cette physionomie d’âme, un peu douloureuse et d’autant plus attachante, se traduit merveilleusement ici par le langage, le dialecte, qui, sorti de France au grand siècle, a cristallisé pour les conserver comme de précieux bijoux de famille, tant de vieilles et graves façons de voir, de sentir et d’aimer !

Un peu saccadé, émaillé de délicieux archaïsmes, d’inexplicables aberrations grammaticales, ce langage est en somme — surtout au point de vue de la phonétique — aussi près du français moyen que ce que nous parlons dans la vallée laurentienne. Faucher de Saint-Maurice a-t-il raison de prétendre qu’en cette matière, les Acadiens sont des Bordelais réussis ? En tous cas, l’étranger est de suite frappé d’entendre les enfants parler de la terre (taïre) et de la mer (maïre) avec une ouverture de voyelle inusitée, et dire avec le sérieux et presque l’accent d’un Anglais sur le continent : « Celui-ci est à moâ », « Tais-toa ! » Comme tous les Acadiens, je crois, nos insulaires ont gardé très nette l’articulation du d, consonne qui s’est, chez nous, lâchement prostituée au th anglais ; le plus intraitable professeur de diction applaudirait à la façon impeccable dont le premier mousse venu frappe cette linguale délicate dans les mots : Dieu, dimanche, dune, dire, etc. D’ailleurs, très peu d’anglicismes, sauf certains vocables introduits avec les moteurs