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CROQUIS LAURENTIENS

— Oh ! non ! Je suis du Saint-Cœur-de-Marie, dans le lac Saint-Jean.

Et Jean Déry, enfin sur sa veine, se met à nous parler d’abondance, à nous conter son histoire, une délicieuse et banale histoire qui m’a ému. Je voudrais savoir écrire la langue savoureuse et pleine que parle Jean Déry dont l’esprit vif et la bonne petite instruction ne sont aucunement gâtés par la ville.

En fait de livres, il ne connait guère que les Annales de la Bonne Sainte-Anne et le grand livre de la nature et de la vie. L’avouerai-je ? Je sentais vaguement auprès de lui, que la culture relative dont nous sommes si fiers et qui nous paraît essentielle quand nous retombons dans notre milieu, n’est qu’une anomalie plus ou moins heureuse, une déformation de l’espèce, comme les plantes panachées et stériles de nos jardins, un déséquilibre peut-être, parce que nos puissances physiques, intellectuelles et morales peuvent bien difficilement se développer de pair et s’harmoniser. Ceux-là se déploient en tous sens, normalement, sans à-coups, et c’est sans doute le secret de la plénitude de leur bonheur.

Jean Déry, d’après ce qu’il nous en a dit, habite une région neuve vers le lac Saint-Jean. La terre y est bonne, le berceau ne chôme pas, et de petites bouches avides font cercle autour de la table. Aussi Jean a-t-il cru bon de quitter mo-