Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
126
CROQUIS LAURENTIENS

Matériel et provisions bien arrimés sur la planche, nous avons fait ainsi une trentaine de milles sur le Reef anticostien, respirant à notre aise avec l’air vif, la poésie subtile et grisante de cette côte, poésie faite de toutes les nuances de l’aile harmonisées à tous les bruits de la mer, faite aussi de souvenirs lugubres et d’affreuses légendes.

Le Reef, comme tout paysage évidemment, change de physionomie avec l’heure du jour, avec la pluie et le soleil, mais ce n’est jamais un désert. Bien au contraire, il n’y a pas au monde, je crois bien, pareil grouillement de gibier de toute couleur et de toute arme. Dès que la marée baisse et que la plage découvre un peu, de partout accourent les compagnies de goélands plaintifs et les chevaliers aux longues jambes fines. C’est plaisir de les voir, les agiles petits échassiers, courir dans l’eau claire, happant sans s’arrêter les larves de toutes sortes et les puces de mer !

Chaque fois que Bob contourne un cap et nous introduit dans une anse nouvelle, des troupes d’outardes, de becs-scies, de canards noirs s’élèvent, tournoient un instant, prennent leur direction et passent, le cou penché, battant de l’aile dans le ciel bleu. Rien n’est joli cependant comme le vol solidaire des alouettes de mer qui portent si allègrement leur demi-deuil : aile grise largement rayée de blanc. Liées par une indéfectible disci-