Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
LVIJe NOUVELLE

de souvent la fréquenter, dont j’avois plus de paour que de ma mort. Mais ung jour estant dedans ung pré, la regardant, me print ung si grand batement de cueur que je perdis toute couleur & contenance, dont elle s’apperçeut très bien, & en demandant que j’avois, je luy dictz que c’estoit une douleur de cueur importable. Et elle, qui pensoyt que ce fut de maladie d’autre sorte que d’amour, me monstra avoir pitié de moy, qui me feit luy suplier vouloir mectre la main sur mon cueur pour veoir comme il débatoit, ce qu’elle feit plus par charité que par autre amityé, &, quant je luy tins la main contre mon cueur, laquelle estoit gantée, il se print à débatre & tormenter si fort qu’elle sentyt que je disois vérité. Et à l’heure luy serray la main contre mon esthomac en luy disant :

« Hélas, ma Dame, recepvez le cueur, qui veult rompre mon esthomac pour saillir en la main de celle dont j’espère grâce, vie & miséricorde, lequel me contrainct maintenant vous déclairer l’amour que tant long temps ay cellée, car luy ne moy ne sommes maistres de ce puissant Dieu. »

Quant elle entendit ce propos que luy tenois, le trouva fort estrange.

Elle voulut retirer sa main ; je la tins si ferme que le gand demeura en la place de sa