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DE MARGUERITE DE NAVARRE

digne & le plus capable, mais qui mettra les Offices à plus hault pris, lors vendent leur bien & ne craignent de se rendre esclaves à la tirannie des usuriers pour amasser de toutes parts argent dont puissent achapter les Offices, &, là estants parvenus, s’émerveille l’on s’ils vendent des lois, s’ils font marchandise du droict des parties, s’ils pervertissent équité & justice, pour trouver moyen de se rembourcer ? Cela faire, est-ce aultre chose que de vendre les villes, voire les Princes mesmes ? Démosthène appelle la loy l’âme de la ville ; Musone appelle le Prince la loy vive ; Platon le dist estre l’âme de la loy. Or donc, le Magistrat qui corrompt justice & vend la loy, par conséquence corrompt & vend & les villes & les Princes, d’ont il appert que le Prince, créant des Magistrats par convention d’argent, se vend luy mesme, & avec luy sa République.

Encor diray je davantage, qu’il vend aussi Dieu, car, puis que le droict, comme disoit Démosthène, est la fin de la loy, la loy l’œuvre du Prince, le Prince l’image de Dieu qui gouverne tout, par conséquent le Prince qui treste les aureilles aux marchands d’Offices & ne baille d’administration de justice qu’à certaine somme d’argent vend justice, la loy, Dieu & soi mesmes.

Ce que nous disons doibt estre entendu qu’il soit licite à tous les Princes déclarer les Offices & dignités vénales, quand leurs voisins ou aultres font par inimitié incursions sur les limites de leurs Royaumes & terres, ou qu’ils veulent recouvrer ce que leurs ennemis injustement occupent, ou que les publiques & nécessaires affaires de leurs Royaumes & Seigneuries le requièrent. Car, s’il est permis, en nécessité urgente, vendre, aliéner, dissiper les choses sacres sainctes & religieuses, qui toutefois ne peuvent aultrement