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ORAISON FUNÈBRE

s’ils leur porteoient honneur, & par ainsi, ne font plus de compte d’euls que de muletiers ou souillards de cuisine. Mais Marguerite avoit apprins du Philosophe Jambliche que les Princes, faisants honneur à ceuls qui le méritent, rendent un certain tesmoignage & signe de leur bonne administration & sage gouvernement. Et pour ceste cause elle révéroit les illustres & vertueus personnages, les aimeoit, & de toute sa puissance les éleveoit aux honneurs. Mais l’advance qu’elle leur faisoit ne provenoit de force d’argent, car elle ne vouloit pourveoir personne d’Estats & offices par avarice ; mais, si elle avoit ouy estimer quelcun d’érudition & probité, quand il vacqueoit un Office, luy conféreoit libéralement, ou, si elle estoit requise par quelcun de sa Maison le conférer en sa faveur, elle prenoit premièrement de luy le serment qu’il n’en avoit reçeu & n’en espèreoit recevoir argent.

Personne n’estoit par elle promeu, ou pour ses richesses, ou par la noblesse de sa Maison, mais, comme elle le trouveoit le plus vertueus, ainsi le préféreoit à tout aultre à l’Estat & Office de judicature qui estoit vacquant. Elle entendoit trèsbien, aussi souvent le disoit elle publiquement, que par la sordide marchandise des Magistrats voie estoit ouverte aux corruptions & pilleries & accès baillé à toutes manières de vices pour destruire, perdre & ruiner les Républiques. Car que fait aultre chose le Prince qui vend les dignités de justice à pris fait, sinon qu’il expose & met en vente les lois, les droicts, la justice, les vertus, voire les vices mesmes ? Car les ambitieus, qui taschent de toute leur puissance monter aux Offices & Dignités, veoiants que, pour y parvenir, il n’est question ne de vertu, ne de sçavoir & suffisance, ains d’argent seulement, affin que celuy soit préféré, non qui sera le plus