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ORAISON FUNÈBRE

dy lire avec un jugement arresté, nous conviendrons ensemble qu’onc n’y en eut une des anciennes, tant soit elle estimée par les doctes hommes, qui mérite d’estre comparée avec elle :

Non Probe, qui trunqua le Mantuan Virgile,
Ne la fille de Coste, ou celle qui si bien
Représenta le nom & l’honneur Fabien,
Ou Marcelle, ou Eustoche, ou la docte Cassandre,
Ou celle qui ausa contre son sexe prendre
Le vestement viril, soubs lequel se porta
Si trèsvirilement qu’au sainct siège monta.

Mais à quoy faisons nous mention des femmes Théologiennes, veu que nous en pouvons autant dire de Prudence, Sédule, fuvence, Macrin, Eobane & aultres Poëtes Chrestiens, sans leur faire injure ? Car je croy que, si les trois premiers vivoient, ils accorderoient avec moy, & les deus derniers ne me répugneront, Marguerite n’avoir pas moins élégamment, moins copieusement, moins doctement escrit en nostre langue que les Latins ou les Grecs ont fait en la leur. Ses Œuvres & Méditations sont ornées de telle vénusté & de si profonde & abundante doctrine que, qui les lira, le nom de l’auteur supprimé, il ne se dira lire la composition d’une femme, mais de quelque tresgrave & trésingénieus auteur.

Veu donc quelle estoit de si excellent esprit & de si abstruse & profonde érudition que les hommes de bon jugement l’appelaient prodige & miracle de Nature, à mon advis personne ne fera doubte que tous les gents doctes l’ayent honorée, révérée & aymée, & que de son costé aussi, elle les a tousjours fort aimés, honorés, & soubstenus de toute sa puissance.