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DE MARGUERITE DE NAVARRE

nous tenons propos qui soit tesmoing l’affection du cœur s’exprimer par la bouche & la parolle. Comment sera il possible que l’arbre infecté & vénéneux porte du fruict sain & bon ? Comment donc ne parleront choses folles ceuls qui hont l’entendement & l’esprit mal sain ? Et pource n’est merveille si la parolle de Marguerite sortoit de ce qui est caiché dans le cœur, c’est de vertu & de pitié, où toute son affection tendoit.

Si est ce que devant le Roy, son mary, elle ne tumbeoit en ces propos & disputations, tant de la philosophie que du Christianisme, sinon qu’il luy en parlast le premier. Cela faisoit elle, non que le Roy de Navarre poursuive mortellement les Sciences & bonnes Lettres avecques Valentinian, fils de Gracian, & Licine, Princes ennemys capitauls des Muses & de sçavoir, car il tient souvent propos des bonnes Lettres & ayme grandement les gents lettrés, ou qu’il ayt voulu suivre ceuls qui tiennent leurs femmes en telle servitude quelles n’oseroient toussir devant euls, car il aimeoit la Royne sa femme d’amour marital, ou que, comme certains morosophes, il soit de ceste opinion de blâmer que les femmes se meslent des estudes & de parler des lettres, car il a tousjours révéré l’esprit & l’érudition de Marguerite & a fait mesmes instituer sa fille Jheanne ès bonnes disciplines & sciences par Nicolas Bourbon, trèsdocte Poëte en l’une & l’autre langue. Mais la trèsprudente Royne sçavoit bien l’office d’une bonne & vertueuse femme, qui est de ne contester avec son mary par caquetterie, mais, comme dit S. Paul, se taire en sa présence &, si elle veult aprendre quelque chose, l’interroger. Et, ores que S. Paul n’en auroit onc parlé, si avoit elle leu en Pleutarche que la femme doibt parler avec son mari & par son mari & non se courroucer si elle parle