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DE MARGUERITE DE NAVARRE

que l’Apostre escrit, ses Ministres, doncques fault il qu’en toutes leurs actions ils suivent Dieu, lequel, tant s’en fault qu’il se monstre de rudde & de difficile accès à ceuls qui vont à luy que lui mesmes a haulte voix nous y invite & appelle en sa Saincte Escripture & très bénignement reçeoit tous ceuls qui y vont. Comment seront les Roys ses Vicaires & Ministres s’ils dédaignent toutes personnes & les chassent d’autour euls ? Non sans cause Démosthène, comme nous lisons, compareoit les Princes sans entendement aux impérits tailleurs d’images, qui estiment les Colosses ne sembler grands à ceuls qui les regarderont s’ils ne les font de grosse masse, larges, entr’ouverts & monstrueus. Ainsi les Princes destitués du jugement ne s’extiment bien exprimer la grandeur, magnificence & sévérité de leur estat, s’ils ne se monstrent fort graves & tétriques de visage, difficiles de mœurs & de façon de faire, d’accès rare & rudde, sans regarder personne & sans faire aulcun compte de personne.

Marguerite sçavoit tout cela & pource ne refuseoit sa parolle à personne, non qu’elle n’eust bien égard aux qualités de ceuls qui parloient à elle, mais, encores qu’elle portast communément plus d’honneur aux gents honorables, toutefois elle ne dédaignoit les infimes & de basse condition, mais elle escoutoit humainement tous ceuls qui s’addressoient à elle &, si elle en veoioit d’aulcuns qui eussent voluntiers parlé à elle, mais ne s’y osoient adventurer, retardés de craincte & de honte, elle les appelloit & leur donnoit courage de luy dire franchement ce qu’ils vouldroient & escoutoit un chascun de telle doulceur & humilité qu’à la veoir l’on ne l’eust prinse pour une Royne, ains pour une simple Damoiselle &, après qu’elle avoit entendu des affaires de tous, elle conseilleoit ceuls qui, à