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ORAISON FUNÈBRE

ble. Cela congnoissant, Homère ne s’est contenté d’avoir nommé les Princes « Pères des subgets », qui estoit pourtant un trèshonneste nom entre les hommes, mais leur a aussi adjouxté le tiltre de doulceur & de mansuétude affin qu’ils hayent continuelle mémoire de leur devoir & qu’ils se recordent qu’ils doivent estre, non seulement Roys, mais aussi Pères, voire Pères douls & bénings.

Or maintenant, je ne sçaiche personne, ô Alençonnois, qui puisse plus faire aulcun doubte de la constance, doulceur & bonté de Marguerite, laquelle aux vertus que je vous ay cy devant récitées a voulu adjouxter une aultre vertu comme leur Sœur, qui est l’adnéantissement de soi mesmes, que nous appelons vulgairement Humilité. Où est celuy, s’il n’est excessivement & impudemment menteur, qui soit si hardi de dire qu’il ayt jamais veu ou entendu Marguerite parler superbement & arrogamment, faire aulcun acte insolentement, ou dédaigner les personnes, tant pauvres & de vil pris fussent ils ?

L’on tourne à grand honneur à Trajan & à Vespasian, Empereurs, que l’un despouilloit l’impérialle majesté pour visiter ses amys malades, pauvres ou riches, grands ou petits ; l’aultre ne faisoit seulement le semblable, mais aussi, quelque mal qu’ils heussent, leur donnoit lui-mesmes à boire & à menger & leur administrait leurs nécessités. Marguerite a aussi fait reluire sa couronne de ce précieus carbuncle, n’ayant seulement aprins de l’Evangile que le Seigneur résiste aux superbes, mais, sçaichant aussi, par la doctrine des plus graves Philosophes, qu’en tous estats, mesmes entre les Princes, plus la personne est riche, grande & élevée à honneur, plus elle doibt estre humble. De faict, s’il est vray, comme dit le grand Tyrien, que les Princes soient en ce Monde Vicaires de Dieu &, ainsi