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ORAISON FUNÈBRE

le nom de Sophiste, jadis tandis honorable, est aujourd’huy odieus à tous bons espris par l’opiniastreté d’un tas de babillards questionnaires, ainsi que le surnom & tiltre de Philosophe, que les Roys, un temps fut, heurent en délices & grandement honorèrent, ne soit de nostre ciècle mesprisé, hay & mocquè, non par la coulpe de Philosophie, mais par le vice de ceuls qui, s’approchants du sanctuarie de Philosophie avec une âme orde & souillée d’affections corrompues & un esprit tout vicieus, ne deviennent moins fols & perturbés de l’estude de Philosophie que, par expérience, les tygres apparoissent enragés du douls & mélodieux son de la Musique. Mais, celuy qui pourra faire essay du fruyct que Philosophie nous aporte avecques soy, certes il confessera quelle est nécessaire, non seulement aux personnes privées, mais aussi aux Magistrats, mesmement aux Princes, qui lors commenceront d’estre Tirans quand ils désisteront d’estre Philosophes.

Car, comme nous lisons en Stobée le Philosophe Musone avoir autrefois dit à un Roy de Syrie : « À qui appartient il mieuls de garder bien les hommes & de juger des choses qui leur seront ou bonnes ou maulvaises, utiles ou inutiles, proffitables ou dommageables, permises ou défendues, qu’au Prince ? Et qui fera juste discrétion de telles choses, sinon le Philosophe, qui met tout son esprit & emploie toute son estude à la cognoissance de ce qui regarde l’utilité de l’homme ? À qui est il nécessaire, fors au Prince, de contenir les pœuples & les subgects en leur devoir & exercer justice, & la rendre à ceuls qui la requerront ? » Mais à quelle fontaine irons nous puyser ceste fustice ? Je dy, de qui apprendrons nous que c’est que de Justice que des préceptes des Philosophes ? Qui sera plus apte & commode au gouvernement d’un Royaume que celuy qui peut se