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Xe NOUVELLE

d’en avoir bonne yssue, s’il a faict la poursuitte comme il appartient. Mais encores fault il que je loue Amadour de ce qu’il feit une partie de son debvoir.

— Quel debvoir ? » ce dist Oisille. « Appellez vous faire son debvoir à ung serviteur qui veult avoir par force sa maistresse, à laquelle il doibt toute révérence & obéissance ? »

Saffredent print la parole & dist : « Ma Dame, quand nos maistresses tiennent leur rang en chambres ou en salles, assises à leurs ayses comme nos juges, nous les menons dancer en craincte ; nous les servons si diligemment que nous prévenons leurs demandes ; nous semblons estre tant crainctifs de les offenser & tant desirans de les servir que ceux qui nous voyent ont pitié de nous & bien souvent nous estiment plus sots que bestes, transportez d’entendement ou transiz, & donnent la gloire à noz Dames, desquelles les contenances sont tant audatieuses & les parolles tant honnestes qu’elles se font craindre, aimer & estimer de ceulx qui n’en veoient que le dehors. Mais, quand nous sommes à part, où Amour seul est juge de nos contenances, nous sçavons très bien qu’elles sont femmes & nous hommes, & à l’heure le nom de maistresse est converti en amye & le nom de serviteur en amy. C’est là où le proverbe dist :

« De bien servir & loyal estre,
De serviteur on devient maistre.

« Elles ont l’honneur autant que les hommes, qui le leur peuvent donner & oster, & voient ce que nous endurons patiemment, mais c’est raison aussy que