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Ire JOURNÉE

prinse que la Dame, ouvrant le cabinet, le trouva à la porte & Floride assez loin de là.

La Comtesse luy demanda : « Amadour, qui a il ? Dictes moy la verité. » Et, comme celluy qui n’estoit jamais despourveu d’inventions, avecq un visaige pasle & transi luy dist :

« Hélas, ma Dame, de quelle condition est devenue Madame Floride ? Je ne fuz jamais si estonné que je suis, car, comme je vous ay dict, je pensois avoir part dans sa bonne grace, mais je congnois bien que je n’y ay plus riens. Il me semble, ma Dame, que du temps qu’elle estoit nourrie avecq vous, elle n’estoit moins sage ne vertueuse qu’elle est, mais elle ne faisoit poinct de conscience de parler & veoir ung chascun &, maintenant que je l’ay voulu regarder, elle ne l’a voulu sousfrir. Et, quant j’ay veu ceste contenance, pensant que ce fust ung songe ou une resverie, luy ay demandé sa main pour la baiser a la façon du païs, ce qu’elle m’a du tout refusé. Il est vray, ma Dame, que j’ay eu tort, dont je vous demande pardon : c’est que je luy ay prins la main quasi par force & la luy ay baisée, ne luy demandant aultre contentement ; mais elle, qui a, comme je croy, délibéré ma mort, vous a appellé ainsy comme vous avez veu. Je ne sçauroys dire pourquoy, sinon qu’elle ayt eu paour que j’eusse autre volunté que je n’ay. Toutesfois, ma Dame, en quelque sorte que ce soit, j’advoue