Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/387

Cette page a été validée par deux contributeurs.
373
Xe NOUVELLE

cueur, le péché soit jamais imputé. Ceulx qui par fureur mesme viennent à se tuer ne peuvent pécher, car la passion ne donne lieu à la raison, &, si la passion d’amour est la plus importable de tous les aultres & celle qui plus aveugle tous les sens, quel péché vouldriez vous attribuer à celuy qui se laisse conduire par une invincible puissance ? Je m’en vais, & n’espère jamais de vous veoir, mais, si j’avois avant mon partement la seureté de vous que ma grande amour mérite, je serois assez fort pour soustenir en patience les ennuictz de ceste longue absence, &, s’il ne vous plaist m’ottroyer ma requeste, vous orrez bien tost dire que vostre rigueur m’aura donné une malheureuse & cruelle mort. »

Floride, non moins marrye que estonnée d’oyr tenir tels propos à celui duquel jamais n’eust eu soupçon de chose semblable, luy dist en pleurant :

« Hélas, Amadour, sont ce icy les vertueux propos que durant ma jeunesse m’avez tenuz ? Est ce cy l’honneur & la conscience que vous m’avez maintesfois conseillé plustost mourir que de perdre ? Avez vous oblié les bons exemples que vous m’avez donnez des vertueuses Dames qui ont résisté à la folle amour & le despris que vous avez tousjours faict des folles ? Je ne puis croire, Amadour, que vous soyez si loing de vous mesmes que Dieu, vostre conscience & mon honneur soient du tout