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Ire JOURNÉE

seil, luy dist que Dieu fust loué du tout &, voyant sa mère si estrange envers elle, ayma mieulx luy obèir que d’avoir pitié de soy mesmes. Et, pour la resjouyr de tant de malheurs, entendit que l’Infant Fortuné estoit malade à la mort, mais jamais devant sa mère ne nul autre n’en feit ung seul semblant & se contraingnit si fort que les larmes, par force retirées en son cueur, feirent sortir le sang par le nez en telle abondance que la vie fut en danger de s’en aller quant & quant, &, pour la restaurer, espouza celuy qu’elle eut voluntiers changé à la mort.

Après les nopces faictes, s’en alla Floride avecq son mary en la Duché de Cardonne, & mena avecq elle Avanturade, à laquelle elle faisoit privément ses complainctes, tant de la rigueur que sa mère luy avoit tenue que du regret d’avoir perdu le filz de l’Infant Fortuné, mais du regret d’Amadour ne luy en parloit que par manière de la consoler.

Ceste jeune Dame doncques se delibéra de mectre Dieu & l’honneur devant ses oeilz, & dissimula si bien ses ennuyz que jamais nul des siens ne s’apparçeut que son mary luy despleut.

Ainsi passa ung long temps Floride, vivant d’une vie moins belle que la mort, ce qu’elle ne faillyt de mander à son serviteur Amadour, lequel congnoissant son grand & honneste cueur & l’amour qu’elle portoit au fils de l’Infant Fortuné,