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Xe NOUVELLE

aller quelques larmes pour luy tenir compaignie, de paour que, par trop faindre, sa faincte ne fust découverte. Depuis ceste heure là, la Comtesse luy en parloit souvent, mais jamais ne sçeut tirer de sa contenance chose où elle peut asseoir jugement.

Je laisseray à dire les voiages, prières, oraisons & jeusnes que faisoyt ordinairement Floride pour le salut de Amadour, lequel, incontinant qu’il fut à Thunis, ne faillit d’envoyer de ses nouvelles à ses amis, & par homme fort seur advertir Floride qu’il estoit en bonne santé & espoir de la reveoir, qui fut à la pauvre Dame le seul moyen de soustenir son ennuy. Et ne doubtez, puisqu’il luy estoit permis d’escrire, qu’elle s’en açquita si dilligemment que Amadour n’eut poinct faulte de la consolation de ses lettres & épistres.

Et fut mandée la Comtesse d’Arande pour aller à Sarragosse, où le Roy estoit arrivé, & là se trouva le jeune Duc de Cardonne, qui feit poursuicte si grande envers le Roy & la Royne qu’ils prièrent la Comtesse de faire le mariaige de lui & de sa fille. La Comtesse, comme celle qui en riens ne leur voulloit desobéir, l’accorda, estimant qu’en sa fille, qui estoit si jeune, n’y avoit volunté que la sienne. Quand tout l’accord fut faict, elle dist à sa fille comme elle luy avoit choisy le party qui luy sembloit le plus nécessaire. La fille, sçachant que en une chose faicte ne falloit poinct de con-