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Xe NOUVELLE

dour fut joyeulx, nul qui aime ne le peut doubter.

Mais Floride creut trop plus son conseil qu’il ne vouloit, car elle, qui estoyt crainctive non seulement devant Poline mais en tous aultres lieux, commencea à ne le chercher pas comme elle avoit accoustumé &, en cest éloignement, trouva mauvais la grande fréquentation qu’Amadour avoit avecq Poline, laquelle elle voyoit tant belle qu’elle ne pouvoit croyre qu’il ne l’aimast &, pour passer sa grande tristesse, entretenoit toujours Avanturade, laquelle commençoit fort à estre jalouse de son mary & de Poline & s’en plaignoit souvent à Floride, qui la consoloit le mieulx qu’il luy estoit possible, comme celle qui estoit frappée d’une mesme peste. Amadour s’apperçeut bien tost de la contenance de Floride, & non seulement pensa qu’elle s’esloignoit de luy par son conseil, mais qu’il y avoit quelque fascheuse oppinion meslée.

Et ung jour, venant de vespres d’un monastère, luy dist : « Ma Dame, quelle contenance me faictes vous ? — Telle que je pense que vous la voulez, » respondit Floride. À l’heure, soupsonnant la vérité, pour sçavoir s’il estoit vray va dire : « Ma Dame, j’ay tant faict par mes journées que Poline n’a plus d’opinion de vous. » Elle luy respondit : « Vous ne sçauriez mieulx faire, & pour vous & pour moy, car, en faisant plaisir à vous mesmes, vous me faictes honneur. » Amadour estima par