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Xe NOUVELLE

de luy rescrire. Mays en tout cecy ne congnoissoit riens Floride, sinon qu’elle l’aymoit comme si c’eust esté son propre frère. Plusieurs fois alla & vint Amadour, en sorte qu’en cinq ans ne veid pas Floride deux moys durant, & toutesfois l’amour, en despit de l’esloignement & de la longueur de l’absence, ne laissoit pas de croistre.

Et advint qu’il feit un voiage pour venir veoir sa femme & trouva la Comtesse bien loing de la Court, car le Roy d’Espaigne s’en estoit allé à l’Andalousie & avoit mené avecq luy le jeune Comte d’Arande, qui desja commençoit à porter armes. La Comtesse d’Arande s’estoit retirée en une maison de plaisance qu’elle avoit sur la frontière d’Arragon & de Navarre, & fut fort aise quand elle veid revenir Amadour, lequel près de trois ans avoit esté absent. Il fut bien venu d’un chascun, & commanda la Comtesse qu’il fust traicté comme son propre filz. Tandis qu’il fut avecq elle, elle luy communiqua toutes les affaires de sa maison & en remettoit la plus part à son oppinion, & gaigna ung si grand crédit en ceste maison que en tous les lieux où il vouloit venir on luy ouvroit tousjours la porte, estimant sa preud’hommie si grande que l’on se fioit en lui de toutes choses comme un sainct ou ung ange. Floride, pour l’amityé qu’elle portoit à sa femme Avanturade & à luy, le cherchoit en tous lieux où elle le voioyt &