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Xe NOUVELLE

qui desjà aymoit Amadour plus que tous les hommes du monde, ne luy voulut rien céler & luy dist que Madame Floride estoit aymée de tout le monde, mais, à cause de la coustume du pays, peu de gens parloient à elle, & n’en avoit poinct encores veu nul qui en feist grand semblant, sinon deux Princes d’Espaigne qui desiroient l’espouser, l’un desquels estoit le fils de l’Infant Fortuné, l’aultre estoit le jeune Duc de Cardonne. « Je vous prie, » dist Amadour, « dictes moy lequel vous pensez qu’elle ayme le mieulx. — Elle est si saige », dist Avanturade, « que pour riens ne confesseroit avoir aultre volunté que celle de sa mère. Toutesfoys, à ce que nous en pouvons juger, elle ayme trop mieulx le filz de l’Infant Fortuné que le jeune Duc de Cardonne, mais sa mère, pour l’avoir plus près d’elle, l’aymeroit mieulx à Cardonne, & je vous tiens homme de si bon jugement que, si vous vouliez, dès aujourd’hui vous en pourriez juger la vérité ; car le filz de l’Infant Fortuné est nourry en ceste Court, qui est un des plus beaulx & parfaicts jeunes Princes qui soit en la Chrestienté, &, si le mariaige se faisoyt, par l’opinion d’entre nous filles il seroit asseuré d’avoir Madame Floride pour veoir ensemble le plus beau couple de toute l’Espaigne. Il fault que vous entendiez que, combien qu’ilz soient tous deux jeunes, elle de douze & luy de quinze ans, si a il desjà trois ans que l’amour est