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IXe NOUVELLE

deux comme vous osez tenir telz propos. Celles que vous avez aymées ne vous sont guères tenues, ou vostre addresse a esté en si meschant lieu que vous estimez les femmes toutes pareilles.

— Ma Dame, » dist Saffredent, « quant est de moy, je suis si malheureux que je n’ay de quoy me vanter ; mais, si ne puis je tant attribuer mon malheur à la vertu des dames que à la faulte de n’avoir assez saigement entreprins, ou bien prudemment conduict mon affaire, & n’allègue pour tous Docteurs que la vieille du Roman de la Rose, laquelle dist :

Nous sommes faicts, beaulx fils, sans doubtes,
Toutes pour tous, & tous pour toutes.

Par quoy je ne croiray jamais que, si l’amour est une fois au cueur d’une femme, l’homme n’en ait bonne yssue s’il ne tient à sa besterie. »

Parlamente dist : « Et si je vous en nommois une bien aimante, bien requise, pressée & importunée, & toutesfois femme de bien, victorieuse de son cueur, de son corps, d’amour & de son amy, advoueriez vous que la chose véritable seroyt possible ?

— Vrayement, » dist il, « ouy.

— Lors, dist Parlamente, « vous seriez tous de dure foy si vous ne croyez cest exemple. »

Dagoucin luy dist : « Ma Dame, puis que j’ay prouvé par exemple l’amour vertueuse d’un Gentil homme jusques à la mort, je vous supplie, si vous en sçavez quelqu’une autant à l’honneur de quelque Dame, que vous la nous veullez dire pour la fin de ceste Journée, & ne craignez poinct à parler longuement, car il y a encore assez de temps pour dire beaucoup de bonnes choses