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Ire JOURNÉE

fondée sur nulle fin, synon de l’aymer de tout son pouvoir le plus parfaictement qui luy estoit possible, ce qu’il feyt si longuement que à la fin elle en eut quelque congnoissance, &, voiant l’honneste amityé qu’il luy portoit tant pleine de vertu & bon propos, se sentoit honorée d’estre aymée d’un si vertueux personnaige & lui faisoit tant de bonne chère qu’il n’avoit nulle prétente à mieulx se contenter. Mais la malice, ennemye de tout repos, ne peut souffrir ceste vie honneste & heureuse, car quelques ungs allèrent dire à la mère de la fille qu’ilz se esbahissoient que ce Gentil homme pouvoyt tant faire en sa maison, & que l’on soupsonnoit que la fille le y tenoit plus que aultre chose, avecq laquelle on le voyoit souvent parler. La mère, qui ne doubtoit en nulle façon de l’honnesteté du Gentil homme, dont elle se tenoit aussi asseurée que de nul de ses enffans, fut fort marrye d’entendre que on le prenoit en mauvaise part, tant que à la fin, craingnant le scandale par la malice des hommes, le pria pour quelque temps de ne hanter pas sa maison comme il avoit accoustumé, chose qu’il trouva de dure digestion, sachant que les honnestes propos qu’il tenoyt à sa fille ne mérytoient poinct tel eslongnement. Toutesfois, pour faire taire les mauvaises langues, se retira tant de temps que le bruict cessa, & y retourna comme il avoyt accoustumé, l’absence duquel n’avoyt admoindry