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Ire JOURNÉE

force ou, si elle se plaingnoit, la jecter dans la rivière.

Elle, aussi sage & fine qu’ils estoient folz & malicieux, leur dist :

« Je ne suis pas si mal gratieuse que j’en faictz le semblant, mais je vous veulx prier de m’octroyer deux choses, & puis vous congnoistrez que j’ay meilleure envye de vous obèyr que vous n’avez de me prier. »

Les Cordeliers lui jurèrent par leur bon sainct Françoys qu’elle ne leur sçauroit demander chose qu’ilz n’octroiassent pour avoir ce qu’ilz desiroient d’elle : « Je vous requiers premièrement, » dist-elle, « que me juriez & promettiez que jamais à homme vivant nul de vous ne déclarera nostre affaire », ce que luy promisrent très voluntiers. Et aussy elle leur dist que l’un après l’autre vueille prendre son plaisir de moy, « car j’auroys trop de honte que tous deux me veissent ensemble. Regardez lequel me vouldra avoir le premier ».

Ilz trouvèrent sa requeste très juste & accorda le jeune que le plus vieil commenceroit, & en approchant d’une petite isle, elle dist au jeune :

« Beau Père, dictes là voz oraisons jusques ad ce que j’aye mené vostre compaignon icy devant en une autre isle, & si, à son retour, il se loue de moy, nous le lairrons icy & nous en irons ensemble. »