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IIJe NOUVELLE

autant ses cornes que la couronne du Roy, lequel, avec la femme du Gentil homme, ne se peurent un jour tenir, voyant une teste de cerf qui estoit eslevée en la maison du Gentil homme, de se prendre à rire devant luy mesmes, en disant que ceste teste estoit bien séante en ceste maison. Le Gentil homme, qui n’avoit le cueur moins bon que luy, va faire escrire sur ceste teste :

Io porto le corna, ciascun lo vede,
Ma tal le porta che no lo crede.

Le Roy retournant en sa maison, qui trouva cest escriteau nouvellement mis, demanda au Gentil homme la signification, lequel lui dist : « Si le secret du Roy est caché au serf, ce n’est pas raison que celluy du serf soit déclaré au Roy ; mais contentez vous que tous ceulx qui portent cornes n’ont pas le bonnet hors de la teste, car elles sont si doulces qu’elles ne descoiffent personne, & celluy les porte plus legièrement qui ne les cuyde pas avoir. »

Le Roy congneut bien par ces parolles qu’il sçavoit quelque chose de son affaire, mais jamais n’eust soupsonné l’amitié de la Royne & de luy, car, tant plus la Royne estoit contente de la vie que son mary menoit & plus faingnoit d’en estre marrye, par quoy vesquirent longuement, d’un