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Ire JOURNÉE

la vengeance dont la passion avoyt esté importable, & là délibérèrent que, toutes les foys que le mary iroyt en son villaige & le Roy de son chasteau en la ville, il retourneroit au chasteau vers la Royne. Ainsi, trompans les trompeurs, ilz seroient quatre participans au plaisir que deux cuydoient avoir tous seuls.

L’accord faict, s’en retournèrent, la Dame en sa chambre & le Gentil homme en sa maison, avecq tel contentement qu’ils avoient obliez tous leurs ennuiz passez. Et la craincte que chascun avoit de l’assemblée du Roy & de la Damoiselle estoit tournée en desir, qui faisoit aller le Gentil homme plus souvent qu’il n’avoit accoustumé en son villaige, lequel n’estoit que à demye lieue. Et si tost que le Roy le sçavoit, il ne failloit d’aller veoir la Damoiselle, & le Gentil homme, quant la nuict estoyt venue, alloit au chasteau, devers la Royne, faire l’office de Lieutenant de Roy, si secrettement que jamais personne ne s’en apperçeut.

Ceste vie dura bien longuement ; mais le Roy, pour estre personne publique, ne pouvoit si bien dissimuller son amour que tout le monde ne s’en apperceust, & avoient tous les gens de bien grand pitié du Gentil homme, car plusieurs mauvais garsons luy faisoient des cornes par derrière en signe de mocquerie, dont il s’appercevoyt bien. Mais ceste mocquerie luy plaisoit tant qu’il estimoit