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Ire JOURNÉE

cipallement à celles qui ont le cueur grand & honnorable, print la hardiesse ung jour, en parlant à la Royne, de luy dire qu’il avoit grande pitié d’ont elle n’estoit autrement aymée du Roy son mary.

La Royne, qui avoit oy parler de l’amour du Roy & de sa femme, luy dist : « Je ne puis pas avoir l’honneur & le plaisir ensemble. Je sçay bien que j’ay l’honneur dont une aultre reçoit le plaisir ; aussi celle qui a le plaisir n’a pas l’honneur que j’ay. »

Luy, qui entendoyt bien pour qui ces parolles estoient dictes, luy respondit : « Ma Dame, l’honneur est né avecq vous, car vous estes de si bonne Maison que, pour estre Royne ou Emperière, ne sçauriez augmenter vostre noblesse ; mais vostre beaulté, grace & honnesteté, a tant mérité de plaisir que celle qui vous en oste ce qui vous appartient se fait plus de tort que à vous, car, pour une gloire qui luy tourne à honte, elle pert autant de plaisir que vous ne Dame de ce Royaulme ne sçauriez avoir, & vous puis dire, ma Dame, que, si le Roy avoyt mis sa couronne hors de dessus sa teste, qu’il n’auroit nul adventaige sur moy de contenter une Dame, estant seur que, pour satisfaire à une si honneste personne que vous, il devroyt vouloir avoir changé sa complexion à la myenne. »