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IIJe NOUVELLE

seulement consolée, mais comptante de l’absence de son mary, &, avant les trois sepmaines qu’il devoit retourner, fut si amoreuse du Roy qu’elle estoit aussy ennuyée du retour de son mary qu’elle avoit esté de son allée. Et, pour ne perdre la présence du Roy, accordèrent ensemble que, quant le mary iroyt en ses maisons aux champs, elle le feroit sçavoir au Roy, lequel la pourroit seurement aller veoir & si secrètement que l’honneur, qu’elle craingnoit plus que la conscience, n’en seroit poinct blessé.

En ceste espérance là se tint fort joyeuse ceste Dame &, quant son mary arriva, luy feit si bon recueil que, combien qu’il eust entendu que en son absence le Roy la serchoit, si ne peut avoir soupson. Mais par longueur de temps ce feu, tant difficile à couvrir, se commença puis après à monstrer, en sorte que le mary se doubta bien fort de la vérité & feit si bon guet qu’il en fut presque asseuré ; mais, pour la craincte qu’il avoit que celuy qui luy faisoit injure luy feist pis s’il en faisoit semblant, se délibéra de le dissimuler, car il estimoit meilleur vivre avecq quelque fascherie que de hazarder sa vie pour une femme qui n’avoyt poinct d’amour.

Toutesfois, en ce despit, délibéra le rendre s’il luy estoit possible &, sçachant que souvent le despit faict faire à une femme plus que l’amour, prin-