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Ire JOURNÉE

tière n’a poinct crainct une si cruelle mort, & telle s’estime femme de bien qui n’a pas encore sçeu comme ceste cy résister jusques au sang. Par quoy se fault humillier, car les graces de Dieu ne se donnent poinct aux hommes pour leurs noblesses & richesses, mais selon qu’il plaist à sa bonté, qui n’est poinct accepteur de personne, lequel eslit ce qu’il veult ; car ce qu’il a esleu l’honore de ses vertuz, & souvent eslit les choses basses pour confondre celles que le Monde estime haultes & honnorables, comme luy mesmes dict :

« Ne nous resjouissous de nos vertuz, mais en ce que nous sommes escriptz au livre de vie, duquel ne nous peult effacer Mort, Enfer ne Péché. »

Il n’y eut Dame en la compaignye qui n’eût la larme à l’oeil pour la compassion de ceste piteuse & glorieuse mort de ceste Mulletière. Chascune pensa en elle mesme que, si la fortune leur advenoit pareille, mectroit peine de l’ensuivre en son martire, &, voiant ma Dame Oisille que le temps se perdoit parmy les louanges de ceste trespassée, dist à Saffredent :

« Si vous ne dictes quelque chose pour faire rire la compaignye, je ne sçay nulle d’entre vous qui peust rabiller à la faulte que j’ay faicte de la faire pleurer, par quoy je vous donne ma voix pour dire la tierce Nouvelle. »

Saffredent, qui eut bien desiré pouvoir dire quelque chose qui bien eust esté agréable à la compaignye & sur toutes à une, dist qu’on luy tenoit tort, veu qu’il y en avoit de plus antiens expérimentez que luy qui devoient parler premier que