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PROLOGUE

Nostre-Dame-de-Serrance, non qu’elle feust si supersticieuse qu’elle pensast que la glorieuse Vierge laissast la dextre de son Filz, où elle est assise, pour venir demorer en terre déserte, mais seulement pour envye de veoir le dévot lieu dont elle avoit tant oy parler ; aussy qu’elle estoit seure que, s’il y avoit moien d’eschapper d’un dangier, les Moynes le debvroient trouver. Et feit tant qu’elle y arriva, passant de si estranges lieux & si difficilles à monter & descendre que son aage & pesanteur ne la gardèrent poinct d’aller la plus part du chemin à pied. Mais la pitié fut que la plus part de ses gens & chevaulx demorèrent mortz par les chemins, & arriva à Serrance avecq ung homme & une femme seullement, où elle fut charitablement reçeue des Religieux.

Il y avoit aussy parmy les François deux Gentilz-hommes qui estoient allez aux baings plus pour accompaigner les Dames dont ilz estoient serviteurs que pour faulte qu’ilz eussent de santé. Ces Gentilz-hommes icy, voyans la compaignye se départir & que les mariz de leurs Dames les emmenoient à part, pensèrent de les suyvre de loing sans soy déclairer à personne. Mais ung soir, estans les deux Gentilz-hommes mariez & leurs femmes arrivez en une maison d’un homme plus bandoullier que païsant, & les deux jeunes Gentilz-hommes logez en une borde tout joingnant de là, environ la minuit oyrent un très grand bruict. Ilz se levèrent avecq leurs varletz, & demandèrent à l’hoste quel tumulte c’estoit là. Le pauvre homme, qui avoit sa part de la paour, leur dist que c’estoient mauvays garsons qui venoient prendre leur part de la proye qui estoit chez leur compaignon bandoullier ; par quoy les